"Valoriser l'image de la personne âgée et du personnel qui en prend soin dans la vie courante de l'établissement, par l'intermédiaire de la photographie."

Lorsque la directrice de l'EHPAD de Saint Jean de Losne m'a parlé de cette idée je n'ai pas hésité une seconde à m'investir dans le projet.

Sujet délicat à aborder pourtant, car il s'agit finalement de montrer ce que nous ne voulons pas voir, une réalité que nous occultons comme pour tenter d'échapper à l'inéluctable, le moment où nos repères commenceront à basculer, le moment où la dépendance s'installera tandis que les liens sociaux se distendront inexorablement, le moment où le temps nous rattrapera et commencera à nous guetter. Dans un monde qui ne cesse d'aller plus vite, soumis au dictat de la rentabilité, le temps rythme nos activités, régit nos relations et sert de baromètre à nos performances. La vitesse est la référence, la productivité est le crédo et dans les médias la jeunesse et la beauté sont la norme. L'image que nous renvoie la personne âgée est à l'opposé de ces clichés et elle nous interroge. Elle nous projette dans une autre dimension, dans un monde parallèle où le temps s'écoule au ralenti comme pour mieux imposer son emprise.

Comment valoriser cet univers par l'image, quand les heures s'égrènent dans la monotonie du quotidien, quand la rigidité des gestes restreint chaque mouvement et que les années ont buriné les visages? A première vue, c'est un huis clos où rien ne se passe. Pourtant, en observant la vie au sein de l'EHPAD, la beauté de l'âge m'est vite apparue comme une évidence, dans un regard qui pétille, dans un geste de compassion entre deux pensionnaires, dans la joie de chanter qui les unit à l'heure de la chorale. Et à les fréquenter quotidiennement, sans fard, sans artifices, ils ont très vite gagné mon cœur. En fait, ce n'est pas "la personne âgée" qu'il me fallait photographier, mais c'est Michel Loriod, Mme Lay, Maria, René Camus, Angèle Révy, Jeanne Konig et tous les autres...

Mais quel point commun ont-ils, hormis celui de vivre au sein d'un EHPAD? S'ils ont tous une certaine forme de dépendance, l'échelle des âges est très étendue et la condition physique ou mentale est très différente d'un individu à l'autre. Quelques-uns sont restés valides malgré le poids des ans, d'autres au contraire sont prisonniers dans le carcan d'un corps raidi par l'arthrose ou la maladie, certains ne se déplacent plus qu'en fauteuil, d'autres encore ont perdu pied avec la réalité, au point parfois d'en oublier jusqu'à l'usage de la parole. Alors comment communiquer sans la fluidité des gestes, ou quand on n'a plus les mots pour s'exprimer? En fait c'est par le ressenti que passe l'essentiel des échanges, dans le rire ou dans des larmes retenues, dans un clin d'œil malicieux ou dans la profondeur d'un regard. Bien plus que par le vocabulaire, c'est surtout avec le cœur qu'ils parlent. C'est cela l'image qu'ils m'ont renvoyée au cours de ce séjour parmi eux, c'est cela la vision que j'en retiens, ils ont tous l'âge des émotions, ils ont tous l'âge du cœur.

Le personnel de l'EHPAD le sait bien et pour stimuler la communication c'est souvent en suscitant une émotion que le déclic se fait, par le truchement d'une plaisanterie, d'un geste de bienveillance ou d'une expression de tendresse.

Ils sont nos aïeux, c'est d'eux que nous venons, ils sont aussi ce que nous serons. Arrêtez-vous un moment pour eux, regardez-les, donnez-leur un peu de votre temps, ils en ont tellement à partager. Ils ont l'âge du cœur, ouvrez leur le vôtre.